ETEINDRE LE FEU, BERCER L’ENNUI
Galerie Sébastien Lepeuve, Clichy
Du 25 septembre au 26 octobre 2024
Avec Cécile Bouffard, Damien Caccia, Ellande Jaureguiberry, Fanny Béguély, Kathleen Meier, Ludivine Large-Bessette, Margaux Fontaine, Matthias Garcia, Nathan Harbonn Viaud, Pia Chevalier, Simon Martin, Tamaris Borrelly, Taras Sereda, Théophile Stern, Tom Castinel.
Commissariat d’exposition, Lena Peyrard
Septembre s’est installé, octobre bientôt.
La grande ville a retrouvé sa frénésie habituelle, les anonymes se pressent, affairés à quelques affaires, gages d’une vie bien remplie. Faire plus, plus vite. Le principe d’effcacité coule dans nos veines, fier miroir d'une société qui valorise les corps debout et productifs. Cette idée infuse jusque dans notre quotidien : manger, conduire, faire l'amour, se divertir, même dormir. On en oublierait presque de respirer.
A celle·eux qui freinent la cadence, la rumeur s’indigne. Dans l’histoire de l’art et de la pensée occidentale, l'acte de s'allonger et le repos ont longtemps étaient perçus comme des signes de faiblesse, une invitation à la paresse. Et pourtant, une brèche. De par le monde s'élève la voix de celle·eux qui font le choix du temps long. On les appelle la Society for Decelaration of Time en Autriche, le Sloth Club au Japon, les Downshifters aux Etats-Unis (1). Tous·tes prônent un mode de vie plus tendre et respectueux des temps de respiration néces- saires à l'humain et l'ensemble du vivant.
S’inspirant de ces mouvements de pensée alternatifs, l’exposition Eteindre le feu, bercer l'ennui énonce une conception plus lente du temps. Elle évoque l’état du repos comme acte volontaire pour se libérer des contraintes «capacitistes» de notre époque, favorisant un retrait temporaire pour échapper à l'agitation constante. L'ancienne boutique de la rue de Neuilly devient ainsi une zone de décompression. On y goûte l’otium antique, cette oisiveté décrite par Sénèque comme exercice philosophique qui nous aide à mieux nous comprendre et appréhender le monde qui nous entoure (2).
Dans le dédale de la galerie, labyrinthe étriqué au carrelage fané, les membres s’engourdissent. Il n'est plus question ici de franchir une ligne d'arrivée mais bien de profiter de la traversée. Celle-ci se dévoile au travers de plusieurs chapitres distincts agencés au sein des différents espaces de la galerie.
Tout commence à la nuit tombée, lorsque celle-ci déploie ses possibles. Quelque part entre l'ombre et la lumière, elle est un refuge autant qu'un piège où se débat l'inconscient. Là, dans les bras de Morphée, le voyage nocturne s’avère un terrain empreint de mysticisme, rappelant d’anciens rituels où la guérison prend racine dans l'abandon et la régénération silencieuse. Que ce soit dans les traditions ou dans les pratiques contemporaines, le repos est reconnu comme un préambule au soin. Il est un état d’éveil, non plus celui de la vigilance anxieuse, mais une écoute bienveillante de nos besoins et du vivant. C’est aussi dans cet état d’écoute que la chambre, ce sanctuaire de l’intime, prend tout son sens. On y dort, on y aime, on s’y recueille. Elle devient le lieu où le corps et l’esprit trouvent refuge, un ultime espace de retrait contre l'agitation extérieure. Mais ce repli n'est pas un abandon pour autant. Bien au contraire, nous dit Lauren Bastide, il faut du courage pour se retirer alors même que le monde continue de tourner (3). Prôner le repos devient alors un acte de résistance face aux injonctions modernes de performance et d'efficacité. Refuser de se plier à la course à la productivité, c’est faire du repos une rébellion silencieuse mais radicale.
Ni plus vite, ni plus loin. Le lièvre est mort.
1. Carl Honoré, Eloge de la lenteur, Editions Marabout, Paris, 2019 2. Bertrand Russell, Éloge de l'oisiveté, Éditions Allia, Paris, 2020 3. Courir l'escargot, Lauren Bastide, Editions JC Lattès, 2024
Galerie Sébastien Lepeuve, Clichy
Du 25 septembre au 26 octobre 2024
Avec Cécile Bouffard, Damien Caccia, Ellande Jaureguiberry, Fanny Béguély, Kathleen Meier, Ludivine Large-Bessette, Margaux Fontaine, Matthias Garcia, Nathan Harbonn Viaud, Pia Chevalier, Simon Martin, Tamaris Borrelly, Taras Sereda, Théophile Stern, Tom Castinel.
Commissariat d’exposition, Lena Peyrard
Septembre s’est installé, octobre bientôt.
La grande ville a retrouvé sa frénésie habituelle, les anonymes se pressent, affairés à quelques affaires, gages d’une vie bien remplie. Faire plus, plus vite. Le principe d’effcacité coule dans nos veines, fier miroir d'une société qui valorise les corps debout et productifs. Cette idée infuse jusque dans notre quotidien : manger, conduire, faire l'amour, se divertir, même dormir. On en oublierait presque de respirer.
A celle·eux qui freinent la cadence, la rumeur s’indigne. Dans l’histoire de l’art et de la pensée occidentale, l'acte de s'allonger et le repos ont longtemps étaient perçus comme des signes de faiblesse, une invitation à la paresse. Et pourtant, une brèche. De par le monde s'élève la voix de celle·eux qui font le choix du temps long. On les appelle la Society for Decelaration of Time en Autriche, le Sloth Club au Japon, les Downshifters aux Etats-Unis (1). Tous·tes prônent un mode de vie plus tendre et respectueux des temps de respiration néces- saires à l'humain et l'ensemble du vivant.
S’inspirant de ces mouvements de pensée alternatifs, l’exposition Eteindre le feu, bercer l'ennui énonce une conception plus lente du temps. Elle évoque l’état du repos comme acte volontaire pour se libérer des contraintes «capacitistes» de notre époque, favorisant un retrait temporaire pour échapper à l'agitation constante. L'ancienne boutique de la rue de Neuilly devient ainsi une zone de décompression. On y goûte l’otium antique, cette oisiveté décrite par Sénèque comme exercice philosophique qui nous aide à mieux nous comprendre et appréhender le monde qui nous entoure (2).
Dans le dédale de la galerie, labyrinthe étriqué au carrelage fané, les membres s’engourdissent. Il n'est plus question ici de franchir une ligne d'arrivée mais bien de profiter de la traversée. Celle-ci se dévoile au travers de plusieurs chapitres distincts agencés au sein des différents espaces de la galerie.
Tout commence à la nuit tombée, lorsque celle-ci déploie ses possibles. Quelque part entre l'ombre et la lumière, elle est un refuge autant qu'un piège où se débat l'inconscient. Là, dans les bras de Morphée, le voyage nocturne s’avère un terrain empreint de mysticisme, rappelant d’anciens rituels où la guérison prend racine dans l'abandon et la régénération silencieuse. Que ce soit dans les traditions ou dans les pratiques contemporaines, le repos est reconnu comme un préambule au soin. Il est un état d’éveil, non plus celui de la vigilance anxieuse, mais une écoute bienveillante de nos besoins et du vivant. C’est aussi dans cet état d’écoute que la chambre, ce sanctuaire de l’intime, prend tout son sens. On y dort, on y aime, on s’y recueille. Elle devient le lieu où le corps et l’esprit trouvent refuge, un ultime espace de retrait contre l'agitation extérieure. Mais ce repli n'est pas un abandon pour autant. Bien au contraire, nous dit Lauren Bastide, il faut du courage pour se retirer alors même que le monde continue de tourner (3). Prôner le repos devient alors un acte de résistance face aux injonctions modernes de performance et d'efficacité. Refuser de se plier à la course à la productivité, c’est faire du repos une rébellion silencieuse mais radicale.
Ni plus vite, ni plus loin. Le lièvre est mort.
1. Carl Honoré, Eloge de la lenteur, Editions Marabout, Paris, 2019 2. Bertrand Russell, Éloge de l'oisiveté, Éditions Allia, Paris, 2020 3. Courir l'escargot, Lauren Bastide, Editions JC Lattès, 2024
Lena Peyrard