Le Théâtre du Ventre plein
Margaux Henry-Thieullent
2020
︎︎︎ Publié dans la revue Point Contemporain
︎︎︎ Margaux Henry-Thieullent
La première fois que j'ai rencontré Margaux Henry-Thieullent dans son atelier à Biarritz, c'était un jour de juillet. La chaleur était suffocante, de ces journées où l'on aimerait se balader les entrailles à l'air dans l'espoir de se rafraîchir quelque peu. Une viscéralité qui s'infuse jusque dans l'atelier où sont accrochés les dessins très grand format de l'artiste dans lesquels des personnages disloqués et parfois monstrueux semblent soutenir notre regard. Prêts à surgir hors du dessin, ils évoluent dans un environnement chaotique d'où émane l'énergie presque physique du trait et des couleurs. Ainsi les dessins qui recouvrent les murs de l'atelier sont autant de fenêtres que Margaux Henry-Thieullent nous invite à traverser afin d'explorer un univers brutal, ardent et convulsif.
Artiste pluridisciplinaire diplômée de l'école d'architecture de Paris-Malaquais (ENSA), Margaux Henry-Thieullent vit désormais à Biarritz où elle fonde en 2019 l'atelier et espace d'art intitulé Encore. De l'architecture, sa pratique plastique retient une certaine approche du dessin comme d'un espace physique à conquérir au sein duquel l'artiste déploie des perspectives biscornues qui semblent nous absorber. Cette sensation s'accompagne d'un sentiment de petitesse alors que l'on pénètre à l'intérieur de l'atelier, envahie par un joyeux fourmillement de productions polymorphes, de dessins apposés au sol, accrochés aux murs, imprimés sur des affiches ou cachés dans des carnets. Mais aussi des paysages digitaux, des vidéos, des performances en ligne où le dessin prend vie numériquement. L'artiste réalise ainsi un corpus d'oeuvres interconnectées résultant de la digestion des flux permanents d'informations auxquels nous sommes soumis via internet et les réseaux sociaux en particulier. Créer apparaît alors chez Margaux comme la nécessité d'exhaler ces pyorrhées dégoulinantes à travers des dessins aussi intenses qu’intuitifs où le mouvement se fait violence. Ce besoin viscéral c'est aussi celui de faire mémoire. En questionnant la construction de notre mémoire collective, elle propose une lecture de la société contemporaine sous forme de strates thématiques. Elle imagine alors de nouveaux récits témoignant de l'assimilation d'informations multiples à la fois sociétales, politiques, scientifiques et même biographiques.
Dès lors, les œuvres protéiformes de l'artiste dévoilent les saynètes d'une comédie sombre et burlesque, sorte de vaudeville contemporain mettant en lumière des personnages étranges et grotesques, parfois familiers, souvent pitoyables. Nu, le visage rond encadré d'un brushing douteux, la figure ubuesque de Donald Trump est l'un de ces personnages récurrents. Dans Donald, Donalddd, regarde-nous danser sur tes paupièèères gonfléeees l'artiste fait ici référence au lobby des armes à feu aux USA et l'ombre qu'il projette par-delà ses frontières. Autre protagoniste des fables de Margaux, la Femme apparaît puissante et émancipée, tel un être mythologique aux attributs gonflés de fierté et parfois même sous une forme autobiographique. Ainsi pour SOIF !!SOIF !! réalisée en mars 2020 au commencement de la crise sanitaire et dont le titre s'inspire du roman éponyme d'Amélie Nothomb, l'artiste se représente le corps contraint, comme crucifié au sol et trouvant dans les écrans une échappatoire à sa propre condition. Autour d'elle des flammes lancinantes semblent consumer le dessin lui-même, symbolisant à la fois la vie et le chaos.
Ici se distingue un hommage à la philosophie de Gaston Bachelard, précédemment à la littérature contemporaine, là l'influence du surréalisme, plus loin celle du rap et de la pop culture. Le corpus de l'artiste regorge de références plurielles qui s'entrechoquent dans des allers-retours incessants entre le dessin, l'installation digitale et la vidéo. De son côté le dessin grand format témoigne d'un rapport presque corporel au papier, aux formes et aux couleurs permettant ainsi au mouvement de se libérer. Ces mêmes dessins que l'on retrouve ensuite dans des environnements digitaux agencés via des logiciels d'architecture ou bien encore dans des vidéos hybrides, à grand renfort de GIFs et d'autotune. Des théâtres virtuels donc, composées d'associations narratives et de flashs poétiques où Margaux déplace sa pratique vers un espace tiers dont les règles restent à inventer, et l'histoire à écrire. Chez l'artiste, cette porosité entre le papier et le numérique est représentative d'une époque contemporaine subordonnée et dépendante des écrans, qu'elle figure avec justesse dans la pièce La montagne vous regarde. Dans ce dessin, plus tard intégré à un environnement digital en trois dimensions, les deux sujets happés par leur propre image à l'écran semblent oublier le regard transperçant de l'extérieur, celui de la Montagne.
Cette narration composite qui émerge des œuvres de Margaux ouvre le champ des possibles vers un monde où les corps, les plans et les échelles s'affranchissent des conventions. On navigue ainsi dans des paysages saturés où le numérique est omniprésent figurant ainsi le digital comme source d'émancipation aussi bien que d'oppression. Proposant une interprétation intime et kaléidoscopique de son époque, Margaux Henry-Thieullent semble alors nous interpeller sur notre faculté à exister au sein des flux mouvants, parfois violents qui drainent notre rapport au monde, aux autres et à nous-mêmes.
Margaux Henry-Thieullent
2020
︎︎︎ Publié dans la revue Point Contemporain
︎︎︎ Margaux Henry-Thieullent
La première fois que j'ai rencontré Margaux Henry-Thieullent dans son atelier à Biarritz, c'était un jour de juillet. La chaleur était suffocante, de ces journées où l'on aimerait se balader les entrailles à l'air dans l'espoir de se rafraîchir quelque peu. Une viscéralité qui s'infuse jusque dans l'atelier où sont accrochés les dessins très grand format de l'artiste dans lesquels des personnages disloqués et parfois monstrueux semblent soutenir notre regard. Prêts à surgir hors du dessin, ils évoluent dans un environnement chaotique d'où émane l'énergie presque physique du trait et des couleurs. Ainsi les dessins qui recouvrent les murs de l'atelier sont autant de fenêtres que Margaux Henry-Thieullent nous invite à traverser afin d'explorer un univers brutal, ardent et convulsif.
Artiste pluridisciplinaire diplômée de l'école d'architecture de Paris-Malaquais (ENSA), Margaux Henry-Thieullent vit désormais à Biarritz où elle fonde en 2019 l'atelier et espace d'art intitulé Encore. De l'architecture, sa pratique plastique retient une certaine approche du dessin comme d'un espace physique à conquérir au sein duquel l'artiste déploie des perspectives biscornues qui semblent nous absorber. Cette sensation s'accompagne d'un sentiment de petitesse alors que l'on pénètre à l'intérieur de l'atelier, envahie par un joyeux fourmillement de productions polymorphes, de dessins apposés au sol, accrochés aux murs, imprimés sur des affiches ou cachés dans des carnets. Mais aussi des paysages digitaux, des vidéos, des performances en ligne où le dessin prend vie numériquement. L'artiste réalise ainsi un corpus d'oeuvres interconnectées résultant de la digestion des flux permanents d'informations auxquels nous sommes soumis via internet et les réseaux sociaux en particulier. Créer apparaît alors chez Margaux comme la nécessité d'exhaler ces pyorrhées dégoulinantes à travers des dessins aussi intenses qu’intuitifs où le mouvement se fait violence. Ce besoin viscéral c'est aussi celui de faire mémoire. En questionnant la construction de notre mémoire collective, elle propose une lecture de la société contemporaine sous forme de strates thématiques. Elle imagine alors de nouveaux récits témoignant de l'assimilation d'informations multiples à la fois sociétales, politiques, scientifiques et même biographiques.
Dès lors, les œuvres protéiformes de l'artiste dévoilent les saynètes d'une comédie sombre et burlesque, sorte de vaudeville contemporain mettant en lumière des personnages étranges et grotesques, parfois familiers, souvent pitoyables. Nu, le visage rond encadré d'un brushing douteux, la figure ubuesque de Donald Trump est l'un de ces personnages récurrents. Dans Donald, Donalddd, regarde-nous danser sur tes paupièèères gonfléeees l'artiste fait ici référence au lobby des armes à feu aux USA et l'ombre qu'il projette par-delà ses frontières. Autre protagoniste des fables de Margaux, la Femme apparaît puissante et émancipée, tel un être mythologique aux attributs gonflés de fierté et parfois même sous une forme autobiographique. Ainsi pour SOIF !!SOIF !! réalisée en mars 2020 au commencement de la crise sanitaire et dont le titre s'inspire du roman éponyme d'Amélie Nothomb, l'artiste se représente le corps contraint, comme crucifié au sol et trouvant dans les écrans une échappatoire à sa propre condition. Autour d'elle des flammes lancinantes semblent consumer le dessin lui-même, symbolisant à la fois la vie et le chaos.
Ici se distingue un hommage à la philosophie de Gaston Bachelard, précédemment à la littérature contemporaine, là l'influence du surréalisme, plus loin celle du rap et de la pop culture. Le corpus de l'artiste regorge de références plurielles qui s'entrechoquent dans des allers-retours incessants entre le dessin, l'installation digitale et la vidéo. De son côté le dessin grand format témoigne d'un rapport presque corporel au papier, aux formes et aux couleurs permettant ainsi au mouvement de se libérer. Ces mêmes dessins que l'on retrouve ensuite dans des environnements digitaux agencés via des logiciels d'architecture ou bien encore dans des vidéos hybrides, à grand renfort de GIFs et d'autotune. Des théâtres virtuels donc, composées d'associations narratives et de flashs poétiques où Margaux déplace sa pratique vers un espace tiers dont les règles restent à inventer, et l'histoire à écrire. Chez l'artiste, cette porosité entre le papier et le numérique est représentative d'une époque contemporaine subordonnée et dépendante des écrans, qu'elle figure avec justesse dans la pièce La montagne vous regarde. Dans ce dessin, plus tard intégré à un environnement digital en trois dimensions, les deux sujets happés par leur propre image à l'écran semblent oublier le regard transperçant de l'extérieur, celui de la Montagne.
Cette narration composite qui émerge des œuvres de Margaux ouvre le champ des possibles vers un monde où les corps, les plans et les échelles s'affranchissent des conventions. On navigue ainsi dans des paysages saturés où le numérique est omniprésent figurant ainsi le digital comme source d'émancipation aussi bien que d'oppression. Proposant une interprétation intime et kaléidoscopique de son époque, Margaux Henry-Thieullent semble alors nous interpeller sur notre faculté à exister au sein des flux mouvants, parfois violents qui drainent notre rapport au monde, aux autres et à nous-mêmes.
Lena Peyrard