Jules Baudrillard
Téléportation, 2020
︎︎︎ Publié dans la revue
Boum!Bang!
︎︎︎Site internet
Téléportation est le premier texte d’une série en devenir dans laquelle l’artiste Jules Baudrillart invite un.e auteur.e, un.e poète, un.e artiste à aborder son travail à travers l’écriture. A l’origine de ce projet une envie de l’artiste de déplacer son travail, de l’offrir aux mots de l’autre pour y trouver une nouvelle matière à considérer. Ici, la poésie décousue qui révèle ce qui est contenu et invisible fait écho au geste sculptural de Jules Baudrillart. Téléportation s’inspire des sculptures de la série «Archéologies, réanimer les ruines» (2018-2020) dans laquelle l’artiste révèle les rebuts qu’il collecte dans la ville à la manière d’un archéologue. L’intention est alors d’ouvrir la narration à une fiction post-apocalyptique où les sculptures de l’artiste deviennent les vestiges du 21e siècle. Véritables boîtes noires de l’Humanité, elles sont les narratrices d’un récit poétique opérant des allers-retours entre différentes temporalités de leur propre existence.
L’odeur du soufre. Sa puanteur. Moiteur, qui colle et recouvre chaque centimètre de mon enveloppe. D’aussi loin que seul le vent peuple désormais les rues désertes de la ville orpheline, je me souviens de cette odeur.
Celle de la nouvelle ère. Celle après les derniers Hommes.
L’irrespirable. Noirceur aussi. Partout. Obscurité immobile qui tétanise le passage du temps.
sol, béton brut.
Comme moi. Je m’émiette, je m’effrite, je me perds.
Fragments de moi qui s’échappent. Ce qu’il en reste n’est que stigmates. De la rue je suis et retourne.
Je suis. Un éclat de la ville, un grain de goudron, une miette d’un tout. Fier rebut, je suis le vague souvenir du Monde érigé.
Je suis le témoin de son effondrement.
Jadis, origamis urbains bâtis par des esprits naïfs. Finalement battus par le Temps.
Des os brisés partis en poussière. Et moi gisant dans le cimetière de l’Humanité, une ruine parmi les ruines.
De la rue je suis et retourne.
Désormais, contours flous d’une ville fantôme. Ou ce qu’il en reste. Puanteur du soufre.
Et le vent qui ratisse la caillasse sur le macadam craquelé.
Et la pluie qui s’insinue dans chaque interstice des façades malades.
Une nouvelle ère a éclos, où le fer, où la pierre et la terre sont les insolentes reliques de la mémoire des mortels.
Et dans la crasse je suis revenu. De retour dans la rue.
Des rues abandonnées là où Ils et Elles ont échoué.
Des rues blessées, désertées. Au peuple étranger de pierre et de goudron.
Mes frères, seuls et révoltés. Il n’y a que nous pour porter l’empreinte des siècles passés avant que les derniers d’entre eux ne soient balayés par le vent de l’apocalypse.
Et la puanteur. Et les vapeurs.
Et le soufre de la rue d'où je suis et retourne.
Du macadam, à l'antre de l'artiste, aux murs blancs, à la fin de tout, jusqu'à la poussière de la rue.
Où me voilà revenu.
Le silence assourdissant du rien flotte autour de moi dans les avenues vides mais pas tout à fait désertes où nous autres, la mémoire humanoïde, portons le geste de ceux qui nous ont façonnés.
Téléportation, 2020
︎︎︎ Publié dans la revue
Boum!Bang!
︎︎︎Site internet
Téléportation est le premier texte d’une série en devenir dans laquelle l’artiste Jules Baudrillart invite un.e auteur.e, un.e poète, un.e artiste à aborder son travail à travers l’écriture. A l’origine de ce projet une envie de l’artiste de déplacer son travail, de l’offrir aux mots de l’autre pour y trouver une nouvelle matière à considérer. Ici, la poésie décousue qui révèle ce qui est contenu et invisible fait écho au geste sculptural de Jules Baudrillart. Téléportation s’inspire des sculptures de la série «Archéologies, réanimer les ruines» (2018-2020) dans laquelle l’artiste révèle les rebuts qu’il collecte dans la ville à la manière d’un archéologue. L’intention est alors d’ouvrir la narration à une fiction post-apocalyptique où les sculptures de l’artiste deviennent les vestiges du 21e siècle. Véritables boîtes noires de l’Humanité, elles sont les narratrices d’un récit poétique opérant des allers-retours entre différentes temporalités de leur propre existence.
L’odeur du soufre. Sa puanteur. Moiteur, qui colle et recouvre chaque centimètre de mon enveloppe. D’aussi loin que seul le vent peuple désormais les rues désertes de la ville orpheline, je me souviens de cette odeur.
Celle de la nouvelle ère. Celle après les derniers Hommes.
L’irrespirable. Noirceur aussi. Partout. Obscurité immobile qui tétanise le passage du temps.
sol, béton brut.
Comme moi. Je m’émiette, je m’effrite, je me perds.
Fragments de moi qui s’échappent. Ce qu’il en reste n’est que stigmates. De la rue je suis et retourne.
Je suis. Un éclat de la ville, un grain de goudron, une miette d’un tout. Fier rebut, je suis le vague souvenir du Monde érigé.
Je suis le témoin de son effondrement.
Jadis, origamis urbains bâtis par des esprits naïfs. Finalement battus par le Temps.
Des os brisés partis en poussière. Et moi gisant dans le cimetière de l’Humanité, une ruine parmi les ruines.
De la rue je suis et retourne.
Je me souviens du temps des voitures sur le bitume cramé.
De ces hommes et ces femmes aérodynamiques. De la forêt
impénétrable d'immeubles chromés. Son énergie quasi
électrique. J’observais, anonyme et oublié. J’étais un déserteur
se fondant dans la silhouette anguleuse des géants de pierre.
Désormais, contours flous d’une ville fantôme. Ou ce qu’il en reste. Puanteur du soufre.
Et le vent qui ratisse la caillasse sur le macadam craquelé.
Et la pluie qui s’insinue dans chaque interstice des façades malades.
Une nouvelle ère a éclos, où le fer, où la pierre et la terre sont les insolentes reliques de la mémoire des mortels.
Je me souviens quand pour la première fois
tu m’as observé. Stopper net la frénésie,
s’arrêter là comme ça en plein milieu du
trottoir et me regarder non pas comme le
rien que je suis mais comme le trésor dont tu
m’habilles. Téléportation. Atelier. La collection.
Manipulation. D’oublié, désormais sublimé. Je
suis une belle âme sculptée dans le béton.
Et dans la crasse je suis revenu. De retour dans la rue.
Des rues abandonnées là où Ils et Elles ont échoué.
Des rues blessées, désertées. Au peuple étranger de pierre et de goudron.
Mes frères, seuls et révoltés. Il n’y a que nous pour porter l’empreinte des siècles passés avant que les derniers d’entre eux ne soient balayés par le vent de l’apocalypse.
Et la puanteur. Et les vapeurs.
Et le soufre de la rue d'où je suis et retourne.
Du macadam, à l'antre de l'artiste, aux murs blancs, à la fin de tout, jusqu'à la poussière de la rue.
Où me voilà revenu.
Le silence assourdissant du rien flotte autour de moi dans les avenues vides mais pas tout à fait désertes où nous autres, la mémoire humanoïde, portons le geste de ceux qui nous ont façonnés.
Je me souviens du froissement du papier contre
moi. Tu me travestis de motifs qui dessinent à
ma surface un paysage intemporel. Une étoffe
d'un autre âge. Un mouvement figé. Depuis
l’Asphalte, me voici maintenant Apollon.
Téléportation. Fragment antique, fragment
d'aujourd'hui. Fragment d'histoire. Je suis
une belle âme drapée dans le béton. On me
regarde, on m’adore. Entre les quatre murs
aseptisés qui m’isolent de la noirceur de mes
pairs. Plus tout à fait moi, pas encore un autre.