© Ayka Lux ; Marcos Uriondo
KNOCK KNOCK KNOCK

ChezKit, Pantin
Du 8 au 10 octobre 2021
Dans le cadre du Festival Soleil Nord-Est

Avec Ludovic Beillard, Jules Cruveiller, Nicolas Degrange, Sophie Deltombe, Chloé Elmaleh, Ninon Hivert, Loris Humeau, Aurore-Caroline Marty, Ayka Lux, Lei Saito, Charlotte Vitaioli

Commissariat d’exposition Lena Peyrard



L'air de l'atelier est chaud et chargé d’une odeur sèche de bois poncé et de peinture. Le soleil passe à travers les carreaux des fenêtres qui composent la façade sud du bâtiment. On y compte onze fenêtres. Des stores vénitiens blancs sont repliés sur eux-mêmes. Les rayons du soleil traversent les carreaux et projettent leurs ombres sur les murs et le sol.

En 2014, ChezKit s’installait à Pantin. Un lieu de frictions et de porosité. Un lieu de récits qui se tissent. Plus que tout, un joyeux bordel, de l’immédiat, du mouvement, de la matière, des croquis, de la poussière et des tasses de café. Du vivant, en bref. En 2014, ChezKit s’installait à Pantin et devenait le décor perpétuel d’un scénario composite, aux personnages changeants, à l’intrigue en huis clos. C’est alors qu’au détour d’un week-end, les expositions organisées dans l’atelier interviennent comme un aparté dans le récit du lieu. Pour l'occasion, l'atelier se travestit et se fige, à la fois méconnaissable et aseptisé : le temps de quelques jours, il fera illusion avant de reprendre à nouveau son effervescence. Décor aux multiples facettes, ChezKit atteste d'une forme de mise en scène de son identité.

Aux murs, des clous à nu sont plantés. Des traces d’enduits recouvrent des trous rebouchés rapidement. Du scotch jaune est apposé au mur ou retient des morceaux de papier découpés. Deux œuvres rondes, en tissu, l’une orange, l’autre violette, sont accrochées au mur l’une au-dessus de l’autre. Un escabeau est placé près d’une composition rectangulaire de tissus découpés et de peinture.

Un décor est une question d'image. Qu'il soit naturaliste ou irréaliste, il est un espace de projection alimenté par notre imaginaire, propice à produire des formes d'exploration intérieure du récit. C’est justement dans cette profondeur du décor-image qu’apparaît la matière sensible. Celle rugueuse qui accroche la lumière, ou bien lisse dont émane une impression de froide perfection. Par sa représentation imagée de la narration, par sa matérialité, le décor dessine un cadre qui a le pouvoir de faire voyager, d'enchanter, d'émouvoir. Il n’est pas pour autant un simple paysage figé, mais au contraire un grand sentiment dramatique* traversé par les récits dont il aide à la construction. Outre cette “couleur” dont il enveloppe une scène, le décor apparaît aussi comme un moyen de lireles personnages, doublant ainsi le récit dans un jeu de nuances, de strates et d’effet miroir. Et dans le même temps, de par le dépassement de la simple présentation narrative, il conserve son autonomie, devenant à son tour un objet personnifié au travers duquel se dévoile une impression d’harmonie ou de dissonance, de calme ou de violence, et faisant entrer en résonance des peurs et des souvenirs.

Le sol est jonché de tubes de peinture, de pastels et de pinceaux. Des gouttes de peinture séchées ponctuent le sol gris. Il est fissuré par endroits. La poussière recouvre sa surface en une fine couche volatile. Des planches sur des tréteaux font office de tables disséminées dans l’espace. Sur le mur opposé aux fenêtres, des étagères saturées du sol au plafond servent de stockage individuel. Au loin, on entend des voitures passées.

L’exposition Knock Knock Knock fait référence aux trois coups de bâton frappés sur le plancher de la scène juste avant le début d’une représentation pour attirer l’attention du spectateur. Elle a pour dessein d’explorer les différentes évocations du décor au sein d'œuvres où la mise scène, la scénographie, le contexte prennent une dimension toute particulière. Il y est question de dramaturgie des paysages, de décors tirés hors de la scène pour en deviner les contours et éprouver l'artificialité. L'exposition est empreinte de références au cinéma, au ballet, à la photographie, la littérature, la musique dans des œuvres où le décor devient protagoniste de sa propre histoire. Parmi les onze artistes présentés, certains imaginent de véritables décors et mettent en jeu des notions d'illusion, de simulacre, d'échelles, du behind the scene, tandis que d'autres prennent comme point de départ l’environnement existant comme décor pour penser des oeuvres qui se nourrissent de ces paysage enveloppants dans lesquels elles évoluent en imaginant des dramaturgies autonomes. Enfin, Knock Knock Knock s’égare aussi quelque part entre le réel et la fiction, ce seuil où il suffit finalement d'un oeil observateur, d'un cadrage resserré dans le paysage du banal pour faire du quotidien un sujet magnifié et nous donner à voir le monde tel que nous ne le voyons plus.

* Louis Jouvet, Témoignage sur le théâtre, 2014


Lena Peyrard