© Juliet Casella
Craquer une allumette et regarder le Monde brûler
Juliet Casella
2023



Texte publié dans le catalogue de Hit Again, l’exposition de la 10ème édition anniversaire de la Bourse Révélations Emerige.
Du 5 octobre au 5 novembre 2023


︎︎︎ Révélations Emerige
︎︎︎ Site internet de Juliet Casella 


Que faire de toutes ces images qui inondent les flux virtuels, qui rentrent dans la sphère de l'intime, qui nous asservissent à scroller encore et toujours ? Depuis la transition numérique, beaucoup défendent qu'il y a trop d'images. En tout cas, assez pour nous engloutir. En 2015, Horst Bredekamp, historien de l'art, ouvrait son essai Théorie de l'acte d'image en évoquant ce déferlement : « Les myriades d’images qui, jour après jour, jaillissent sur les téléphones mobiles, les écrans de télévision, sur internet et dans la presse écrite, partout dans le monde, comme si la civilisation actuelle voulait s’enfouir dans une sorte de cocon d’images».

Récupérer, assembler, reconstruire. Par le collage, Juliet Casella se nourrit de la pléthore d'images que la société produit chaque jour et nous jette en pâture. Si l'on devait s'essayer à une définition, nous pourrions dire que le collage est une juxtaposition de fragments existants à partir de sources disparates, indéfinies. En recontextualisant l’éphémère, il l'investit d'une nouvelle signification et, peut-être plus que tout autre médium artistique, le collage reflète un désir de rendre compte du chaos du quotidien. Une manière adéquate aussi, d'introduire la pratique de Juliet Casella. L'artiste déconstruit les discours hégémoniques et conçoit un autre storytelling pour le réel, poétique, ubuesque et défaillant. Favorisant les chocs visuels, ses créations sont troublantes, empreintes d'humour et de dérision, et dénoncent la violence du temps présent et la consommation (d'images) de masse. À cette dernière, l'artiste répond par une production frénétique de collages fixes ou en mouvements, issus de l'iconographique d'internet, de Youtube, Viméo ou Getty, jouant avec la fine frontière entre la copie et le montage. Le résultat est de l'ordre du hacking, d'une mise en scène théâtrale dans laquelle des bribes visuelles sont représentées à des échelles incompatibles, de manière à créer une image surréaliste d'une grande complexité.

Qu'ils soient sous forme de photographies, de vidéos ou de peintures, ses collages englobent contradiction et multiplicité et déploient un univers de fin du monde, sous couvert d'une esthétique pop acidulée résolument inspirée de la culture américaine. Piscine, toboggan et enseignes à néon côtoient des intérieurs d'un autre âge en proie aux flammes sous le regard menaçant d'enfants, l'arme au poing ou roulant des mécaniques sur de vieilles bécanes. Ici, l'innocence laisse place à la violence. C'est certain, l'artiste met le feu aux poudres de cette société du divertissement et bien que plaisantes, ses compositions n'en dépeignent pas moins un portrait satirique. Peut-être est-ce justement dans cette jeunesse perdue qu'il nous faut chercher le salut.

Dans les peintures de l'artiste, les enfants se muent en des figures héroïques auprès desquelles trouver refuge pour conjurer le pessimisme ambiant. Derrière leur fausse candeur affichée, ielles appellent silencieusement à faire acte de résistance contre le système. // Craquer une allumette et regarder le monde brûler //. C'est un cri sourd qui se dégage des installations de Juliet Casella et face à elles, nous avons le sentiment d'être nous aussi des fragments du drame composite qui s'y trame.




Lena Peyrard